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Cinéma & dramas

« Concrete utopia » ou le cauchemar climatisé

2023-10-11

Séoul au jour le jour


Après des séries comme « Silent Sea » ou « Black Knight », avec « Concrete Utopia » le cinéma sud-coréen se spécialise dans les dystopies qui, partant d'une situation actuelle bien réelle, anticipe sur un avenir désastreux. Cette fois, ce sont les intérêts financiers et la hiérarchie sociale liées aux appartements des tours d'immeuble de Séoul qui sert de décor et de métaphore au film. Voyons ce qu'il en est, à l’occasion de sa décoration à la 32e édition des Buil Film Awards.


* L'Apocalypse a commencé
Il s'agit donc d'une ville détruite en partie ou entièrement, on ne sait pas exactement, par un tremblement de terre aux arrières goûts de jugement dernier. Un immeuble d’appartements a tenu le coup. Il est habité et cerné par des réfugiés. La situation est encore plus dangereuse car il règne un froid glacial dans un monde privé d’électricité, donc privé d’à peu près tout. La survie s'organise, mais très vite les bouches à nourrir semblent trop nombreuses et les réfugiés, qualifiés de « cafards » sont rejetés par les résidents de l'immeuble. Ce dernier a un chef interprété par un débonnaire Lee Byung-hun, et il tend à imposer sa dictature d'autant plus qu'il n'est pas vraiment un résident du complexe. L'enjeu devient donc l'organisation mais surtout sur quelles bases doit-elle se faire.


* Avidité et compétitivité comme virus
Le point fort du film – notamment grâce au choix d’appartements de valeur moyenne - est de ne pas cliver les classes sociales avec des riches qui gouvernent égoïstement et des pauvres qui subissent en se plaignant. On a vu cela dans les films de Bong Joon-ho et d'autres. Ici, l'avidité et la compétitivité, dynamiques essentielles du capitalisme, sont montrés comme des virus qui peuvent toucher tous le monde. Le petit propriétaire endetté est tout aussi cupide, opportuniste et égoïste que le gros propriétaire. Les « cafards » des riches appartements détruits sont rejetés comme les autres. Une fois le virus du bizness et de l'argent entré dans son sang, il est difficile de s'en débarrasser. Il se répand comme une obsession et aliène toutes ses victimes pour peu qu'elle aient un avoir quelconque ou même juste l'ambition d'un avoir quelconque. 

Le phénomène est spécialement illustré par le jeune couple qui est au cœur de l'intrigue. Ils se sont endettés pour acheter leur appartement, mais la femme, une infirmière interprétée par Park Bo-young n'arrive pas à rejeter les « cafards » pour protéger son bien, au contraire, elle veut le partager. Son mari fonctionnaire, Park Seo-joon, hésite mais, peureux et obéissant, suit le leader de l'immeuble et prend en chasse les non résidents. Le message est clair : il y a les partageux d'un côté et les cupides de l’autre. 


* Inversion confucianiste
Les cupides, les avides ne sont pas vraiment égoïstes ou individualistes car ils s'organisent en communauté. C'est bien vu par le scénario et basé sur des faits réels en Corée du Sud. L'opposition n'est pas comme dans les dogmes confucianistes de la tradition entre individualisme et collectivisme, les deux camps sont collectivistes en eux-mêmes, ils sont des « dividuels » comme les définissait Deleuze, divisés dans le collectif ; la division est entre ceux qui sont prêts à tout pour survivre dans l'infamie et ceux pour qui vivre doit avoir un sens, une valeur. Une scène du film ironise sur le sujet en montrant, épinglé sur le mur d'un des appartements, où la milice des résidents est en train d'expulser manu militari des « cafards », le dogme confucianiste tout comme chrétien disant de traiter ses voisins comme sa famille. L'inversion de la solidarité communautaire traditionnel est à deux niveaux : le pouvoir politique l'a transformé en système panoptique d'autocontrôle et le capitalisme en a fait un décor, un spectacle tandis que tout un chacun est poussé à la compétitivité opportuniste, faisant des acheteurs-consommateurs des confucianistes schizophrènes aliénés.


* Oscars
En dehors de la trop simplette héroïne (pure, gentille, innocente, etc), la dernière partie du film risque de coûter chère à « Concrete Utopia » dans sa course aux Oscars, puisqu'il représente la Corée du Sud à cette compétition. En effet, les deux premières parties font trop la part belle à Lee Byung-hun qui s'en donne à coeur-joie en mauvais père de famille endetté devenu grand commandeur de l'immeuble. D'où un final trop rapide, presque bâclé au niveau de la réalisation. Quelques morceaux d'anthologie surnagent quand même comme lorsque Lee Byung-hun catapulte la pauvre Park Ji-hu (de « All of Us Are Dead ») qui vient de le dénoncer dans la fausse à purin géante du bâtiment ; le meurtre par gavage aux pions de baduk en est un autre, tout comme des osselets pour enfants fait avec les dents des morts. 

Les spectateurs ne manqueront pas de jubiler à certains aspects de comédie noire voire morbide de cette nouvelle dystopie qui, avec ses 3,4 millions d'entrées en salle depuis sa sortie le 9 août dernier, en annonce d'autres sûrement.

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