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Cinéma & dramas

Bargain : du court-métrage à la série

2023-01-04

Séoul au jour le jour


Encore avec « Bargain », les séries sud-coréennes ambitieuses commencent nettement à se démarquer des dramas remplis de cendrillons et de princes charmants. Annoncée comme l'extension d'un court-métrage de 2015 signé Lee Chung-hyun, cette série signée Jeon Woo-sung met en scène deux acteurs d'exception que sont Jeon Jong-seo et Jin Seon-kyu dans un univers impitoyable, entre prostitution, trafique d'organes et fin du monde. Voyons ce qu'il en est.



* Virginité et corps de femme 

Le court-métrage de 14 minutes de 2015 avait fait sensation et lancé la carrière du réalisateur Lee Chung-hyun. Le premier épisode de la série reprend presque mot pour mot le film court d'origine en changeant seulement les acteurs. Jeon Jong-seo joue la supposée vierge attendant dans une chambre d'hôtel perdu de Gapyeong qu'un ajeossi (homme mûr) vienne la déflorer pour 1 000 000 de wons, une somme équivalente à 700 euros. 

Le premier rebondissement de l'intrigue survient quand on comprend que la jeune fille continue de se vendre au téléphone à d'autres clients et toujours comme une vierge. Un deuxième rebondissement, plus alambiqué mais profondément métaphorique, dévoile que la même jeune fille fait partie de tout un système où des dizaines d'autres filles font le même bizness de leur supposé virginité à l'étage supérieur de l'hôtel. Et le clou de l'histoire est que les clients sont ensuite dépecés pour un trafique d'organe.

Si le court-métrage n'insistait pas trop sur le sens de cette dernière pirouette, la série le fait clairement : les hommes sont vendus comme des bouts de viande tout comme le corps des femmes est traité quotidiennement dans la société. Déflorer une vierge étant le nec plus ultra de beaucoup d'hommes, la tradition du mariage étant la légitimation de la chose ; l'exploitation du corps des femmes continuant du déflorage à l'enfantement. Mais cette série ne s'arrête pas là : l'hôtel s'écroule un peu comme dans « Judgement », le célèbre moyen-métrage de Park Chan-wook, et victimes et bourreaux se retrouvent dans le même bateau qui coule.



* Performance technique 

Les spectateurs du court-métrage n'avaient pas seulement été frappés par cette histoire ironique à souhait mais aussi par une l'idée de filmer l'ensemble du film en un seul plan en caméra portée. Ce n'est pas une technique nouvelle - rappelons le célèbre film d'Alfred Hitchcock en 1948, « La Corde ». Les longs plans-séquences étaient vus dans les années 1940-50 aussi comme un moyen d'éviter les coupes des producteurs ou des censeurs. 

Si sur un court-métrage cela semble jouable, la série renchérit en tentant cette performance à chaque épisode d'environ trente minutes. Il en résulte un style tout à fait hors du commun des habituels dramas et leurs champs-contre-champs interminables et sans qualité. Et ceci même si le premier épisode de la série qui reprend le court-métrage ne parvient pas à retrouver la fraîcheur et l'improvisation d'origine ; la caméra portée s'affiche un peu trop, profitant d'un espace plus large que celui d'origine ; et les acteurs préméditent un peu trop les futures rebondissements - surtout Jeon Jong-seo qui n'a pas la candeur hautaine de Lee Ju-young, la jeune actrice d'origine, et qui semble reprendre son rôle dans la série à succès « Money Heist Korea ».



* Trafique d'organes et métaphore 

Le développement de l'intrigue passe par celui du trafique d'organes. Ce dernier, déjà vu dans « Squid Game » pour les mêmes raisons, même si encore peu claires - a bien une réalité et il est surtout le symptôme emblématique du nécro-capitalisme actuel. Après l’exploitation du corps des femmes et de la force de travail des hommes, il s'agit d'exploiter leurs organes, d'utiliser leur chair comme celle du bétail pour le bien-être des dirigeants. 

En même temps, comme dans la longue scène de la vente aux enchères des organes - ceux du pauvre flic venue déflorer la fausse vierge et joué par le toujours excellent Jin Seon-kyu - il s'agit de montrer l'hyper-commercialisation d'à peu près tout. Le virus du commerce tourne à vide et n'a plus de sens, l'achat et la vente n'ont plus de valeur qu'en eux-mêmes ; et ce qui est acheté et vendu n'est plus qu'une valeur abstraite détachée de toute réalité concrète. C'est là que la série de Jeon Woo-sung tente de dépasser le court-métrage de Lee Chung-hyun. Ce dernier, s'est d'ailleurs fourvoyé très vite après son premier succès avec le désastreux long-métrage « The Call ». 

Pour sa part, Jeon Woo-sung est un stakhanoviste de la télévision, notamment des dramas. Cela se voit encore un peu quand il n'arrive pas à débloquer des scènes où les personnages restent statiques à débiter leurs dialogues. Mais le choix courageux du plan-séquence en caméra portée lui donne une chance d'arriver à un niveau de mise en scène - synchronisme du jeu des acteurs, spatialisation des actions, relativisme des dialogues, calcul des effets de lumière, etc - qui pourrait le mettre en salle au cinéma.

La série, produite pour Tving de CJ Entertainment qui aura une diffusion sur Paramount+ aux USA, est déjà bien partie pour entrer en lisse dans le panthéon des séries coréennes aux côtés de « Squid Game » et « Hellbound ». 

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